"Thassos le paradis des sculpteurs" Par Monique AYOUN

Imaginez un jardin planté d’oliviers centenaires, avec de-ci de-là des sculptures de marbre de Thassos. Au bout de ce jardin, s’étale, orgueilleuse, une mer bleue d’une limpidité cristalline... Dans sa propriété familiale, Emmy Varouxaki —historienne, archéologue, critique d’art et commissaire d’exposition — a organisé plusieurs symposiums internationaux de sculpture. Aujourd’hui, elle préfère inviter des sculpteurs en résidence. Elle a fait livrer pour Jacky Kooken un bloc de marbre d’une tonne de 180 cm de haut.

link : Revue SEGNO n°232 Attualità Internazionali d'Arte Contemporanea page 42 à 46 disponible à la FIAC Galerie A ARTE Invernizzi

Il est périlleux pour un sculpteur de tailler un bloc de cette importance sans avoir une commande préalable.

Grâce à la générosité d’Emmy qui a avancé le prix du bloc, Jacky Kooken a pu réaliser son rêve, immortaliser dans un beau bloc statuaire le banquet de Platon : de face, un philosophe dans une position pensive, et d’avers sa Muse, les deux figures hiératiques se fondant dans la même âme.

 

Le marbre de Thassos est réputé pour sa blancheur cristalline et pour son grain fin. Selon Jacky, qui l’expérimentait pour la première fois, c’est un marbre  très fier. Sa dureté se situe à mi-chemin entre le marbre de carrare et le granit. Les sculpteurs habitués aux marbres italiens seront surpris par sa densité et sa résistance. Mais Jacky aime relever les défis ! « Il faut l’apprivoiser pour en faire surgir une belle œuvre !», s’est-il exclamé, tout émoustillé.

 

Au bout du jardin, au pied de la montagne, un vaste atelier surélevé  domine les arbres. Le rideau de fer s’ouvre sur les oliviers, les sculptures et la mer. J’avais installé en son centre une table, bureau idéal pour poursuivre l’écriture de mon roman. Rythmée par les coups de massettes aussi réguliers qu’un cœur qui bat, je pianotais sur mon mac à l’ombre des oliviers.

Galvanisé par le lieu et la beauté de son bloc, Jacky travaillais onze heures par jour ! L’après-midi, je le laissais à son labeur de bagnard. Il continuait, sous un soleil de plomb, à tailler son rêve de marbre cependant que je me ressourçais sur les plages toutes proches. Sa fougue et sa pugnacité faisait l’admiration de tous : levé à six heures trente, il commençait dès sept heures pour s’interrompre une petite heure le midi et reprendre son ouvrage  jusqu’à 18 h 30. Alors il s’accordait une baignade. Nous finissions la journée dans les meilleurs restaurants de l’île, introduits par Emmy et son mari Sotiris.

 

Je n’ai jamais vu une telle puissance de création à l’ouvrage, le bloc diminuant à vue d’œil chaque jour un peu plus. Le résultat est à la hauteur des espérances de son créateur. Il a même suivi les conseils, qu’en Egérie avisée, je lui donnais. Ainsi a-t-il diminué le menton de la muse que je jugeai trop en galoche. C’est une œuvre qui ferait merveille au milieu d’un espace ouvert, un socle d’un mètre environ renforcerait l’effet de symbiose des deux figures. Le plus difficile reste à faire : trouver un commanditaire. En attendant, cette oeuvre rayonne dans le jardin de sculptures d’Emmy à Thassos.