Retour à Thassos et à son marbre mythique

De retour sur l’île de Thassos un an après avoir taillé ma sculpture le « banquet de Platon » qui est toujours aussi rayonnante et belle dans le jardin de sculptures. Les retrouvailles ont été émouvantes, elle n’a toujours pas trouvé preneur (mairie, place publique, écoles, collectionneur…) et coule des jours heureux sous les oliviers.

Thassos c’est une île, un immense bloc de marbre d’environ 80 km de diamètre, verdoyant et immergé à quelques encablures de Kavala dans le nord de la Grèce (près de Salonique).

D’une blancheur éblouissante, le marbre de Thassos est réputé depuis l’Antiquité. Avec un grain et des cristaux d’un millimètre de diamètre environ, il rayonne immaculé. Plus fier que le marbre de Carrare, il est plus dur à sculpter, mais le résultat est à la hauteur de sa réputation. A la taille il donne la sensation de se situer au niveau difficulté entre le marbre de carrare et le granit. C’est pourquoi il  ne supporte pas le dilettante, mais il donne aux artistes les moyens de s’exprimer avec toutes les nuances du grand art.

Les sculpteurs touchés par sa grâce tombent amoureux de ce marbre comme s’il s’agissait des charmes d’une muse. Un sculpteur suisse qui modelait la glaise et créait dans la fusion du bronze en dirigeant sa propre fonderie a même abandonné la fonte pour ne sculpter exclusivement que ce marbre mythique.

Les carrières de Thassos à flanc de montagne sont impressionnantes. Quel dommage que ce si beau marbre finisse à 999/1000 en dallages !!! les plus belles veines devraient être protégées et réservées aux sculpteurs de talent du monde entier pour qu’ils subliment ce matériau et nous fassent rêver.

Quelle frustration pour moi, de voir des montagnes de marbre à portée de main. Le marbre affleure de partout : ici, à Marble beach,  la carrière se situe au dessus de la plage, des blocs de plusieurs mètre cubes dorment là, abandonnés. Ils attendent on ne sait quoi, on ne sait qui.

D’un autre coté, ils ont tout le temps devant eux, cela semble préférable que de finir en dallage. C’est toute la différence avec nous les sculpteurs, le temps nous est compté, nous ne faisons pas partie des éléments géologiques auprès de qui une vie humaine ne dure pas plus qu’une minute.

Et comme le désir me démangeait la massette, j’ai taillé pour nos hôtes qui ont eu l’amabilité de nous inviter dans leur demeure, un portrait de philosophe grec en mouvement. Ce bloc de marbre de Thassos de 30 cm x 20 x 15  semblait m’attendre depuis des lustres dans leur jardin. Cette sculpture s’inscrit dans la fameuse diagonale héroïque, si cher aux sculpteurs antiques, il délivre le sujet d’une position statique qui semble avancer et donner une impression de mouvement (le discobole de Myron en est l’exemple le plus célèbre).

 

Ce qui fait défaut ici, ce ne sont ni les sculpteurs de talent ni le désir de créer. Ce qui manque ce sont les commandes, les sponsors, les mécènes. Nous ne sommes plus à l’époque des Médicis ou de Louis XIV, pour un peu on regretterait même la royauté. Il est vrai qu’il y a un anachronisme à créer dans un matériau qui perdure des millénaires alors que la plupart des créations contemporaines sont créés dans des matériaux dégradables voir des installations qui ne durent que le temps de l’exposition.

Et pourtant que serait-il resté des chefs d’œuvres Grecs s’ils n’avaient pas été reproduits dans le marbre ? Rien ou presque. 99 % des bronzes Grecs ont été fondus pour récupérer le cuivre. De nos jours les grandes sculptures en bronze ne sont plus en sécurité. Ainsi la sculpture de  4 tonnes, « la Franciliènne »  située à un axe routier du même nom, près de Paris, à été déboulonnée et volée en une nuit aussi facilement que s'il s’agissait d’une voiture pour la fourrière. Une raison de plus pour choisir le marbre de Thassos pour créer dans le monumental.

Jacky Kooken