2 - Grandeurs et misères SuBréalistes des artistes.
Le talent est une mystérieuse équation de don pur, d’éducation, de volonté
obsessionnelle de création.
Ceci établi, la part prépondérante de l’inné ou de l’acquis dans la formation du destin
d’un artiste est un débat qui n’est pas prêt d’être tranché :
Une graine féconde ne peut pousser dans le désert, une autre rabougrie peut
néanmoins se développer dans un terrain riche sans pour autant produire de fruits
exceptionnels. Mozart serait-il entré dans l’histoire de la musique s’il avait été fils d’un
boucher ? Une graine exceptionnelle dans un terrain favorable ne protège pas pour
autant de la grêle et de la destruction on ne peut donc présumer de rien et nombre
d’enfants prodiges n’ont pas eu la carrière que leur jeune talent promettait, émoussés
devant la difficulté de se réaliser.
Ainsi certains artistes nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, cumulant les dons,
les parrainages, l’assurance et le charme, se sont perdus dans le labyrinthe de la
facilité en touchant à tout, tout en ne se fixant sur rien.
« Etre doué c’est se perdre, si l’on n’y voit pas clair à temps pour
redresser les pentes et ne pas les descendre toutes. »
Jean Cocteau - La difficulté d’être
D’autres artistes besogneux ne réussissent pas mieux pour autant. Il n’y aucune
causalité entre le travail, la réussite et le talent.
Ce qui est sûr c’est que le don seul ne suffit pas, comme le travail seul ne peut suffire il
faut l’amalgame des deux pour faire œuvre, saupoudrer d’un soupçon de chance et
vous obtiendrez la réussite.
La réussite, c’est de produire une œuvre qui correspond à la demande au bon endroit
au bon moment ; ce qui est souvent déterminant :
- avant, l’artiste est un précurseur incompris, un artiste maudit qui fera plus tard la
fortune des marchands charognards.
- après l’artiste est un suiveur ringard…
Cela étant, mieux vaut être artiste riche et célèbre, en bonne santé plutôt que
méconnu pauvre et malade.
Il est une troisième catégorie d’artistes dont la particularité est de produire
épisodiquement, en dilettante, sans passions ni message, des œuvres à vibratoire
SuBréaliste quasi inexistantes?
Il serait illusoire d’y chercher quelques effets esthétiques ou autre intentions poétiques
ou intellectuelles.
Ces œuvres sont des alibis ou plus spécifiquement des masques d’artistes, permettant
de doter leurs auteurs d’un statut social d’artiste, justifiant une profession.
Ces artistes souvent issus de familles aisées vivant de revenu financiers (actions,
dividendes, locations de biens immobilier etc….) exposent une toile ou deux au Salon
des indépendants ou dans une galerie loueur de mur, justifiant ainsi, vis-à-vis de leurs
relations diverses et variés de leurs statuts sociaux. Peu importe de vendre ou pas,
l’important est d’être et d’exister en tant qu’artiste.
Traditionnellement les jeunes filles de bonnes familles dont la vocation étaient de faire
un beau mariage sans préoccupation de revenu stable, étudiaient les beaux arts en
attendant de convoler en juste noce à un jeune homme, future capitaine d’industrie,
de même milieu, mais au cursus plus sérieux (Grandes écoles, Polytechniques, Mines
etc…)
Cette situation institutionnelle a longtemps porté ombrage et mauvaise réputation aux
femmes artistes issues de ces milieux privilégiés, alors qu’il n’y a pas de cause à effet.
Il n’est pas indispensable d’être un artiste maudit pour avoir du talent ni d’être issu de
milieu favorisé pour ne pas en avoir.
Dans la même mouvance mais issus de familles prolétaires, n’ayant pu supporter les
contraintes d’un métier salarié, certains autres utilisent ce même alibi pour se faire
entretenir d’abord par leur parents puis ensuite par leur conjoint ce que j’appellerai
sponsorisation privé intime.
Ce sponsoring intime est socialement et généralement bien admis lorsqu’il concerne
une artiste femme. Lorsqu’il s’agit d’artistes hommes « vivant au crochet de leur
femme » le jugement public est souvent sévère et très critique. Ici le sexisme joue à
contre emploi.
Dans la plupart des cas ce ne sont pas des femmes riches qui entretiennent par
amour leurs compagnons artistes, mais souvent des fonctionnaires ou professions
stables (secrétaires, comptables, juristes …etc). Le nombre de professeurs des écoles
qui subviennent aux besoins du ménage sont légion, que leur maris soient artistes
plasticiens, thêatreux, ou musiciens.
Dans le même sillage il y a tous ceux qui n’ayant pas la chance d’avoir une aide privée
font appel at vitam aeternam à ce que j’appellerai le sponsoring social et public en se
contentant d’un RMI et d’aides sociales diverses et variées pour vivoter à leurs
rythmes idéalement en province où la vie est moins chère.
Avec ce statut social la plupart disent vivrent de leur art, de fait c’est faux…
Rares sont les artistes qui admettent vivre grâce au RMI ou aux salaires réguliers de
leurs femmes, leurs ventes étant pourtant si aléatoires et soumis aux incertitudes du
marché de l’art.
Enfin, la dernière catégorie de créateurs, la plus importante, est celle qui s’est adaptée
à nos sociétés capitalistes où les mécènes se font rares, les vocations d’artistes
pléthoriques dans un marché de l’art non extensible à l’infini.
Par réalisme, pour créer en toute liberté, de nombreux artistes préfèrent gagner sa
soupe dans un job annexe plutôt que de faire de la soupe dans un art commercial
décoratif.
Ici se trouve la grande majorité des artistes contemporains, qu’ils soient besogneux
ou artistes aux talents rayonnants, ils ont tous recours à un emploi alimentaire à temps
partiel qui leur permet de subvenir à leurs besoins vitaux.
Ici les professeurs d’art sont nombreux, (César comme d’autres artistes renommés
ont assurés leur avenir en professant aux beaux arts.
Autres jobs alimentaires : décorateur, peintres en bâtiment, publicitaires, gardiens de
musée, veilleur de nuit, intérimaires, infographiste, informaticiens, garçon de café
etc… A défaut d’être passionnant ces emplois partiels ont la vertu de remplir le frigo.
A ceux qui affirment qu’un job alimentaire est incompatible avec leur création, qu’ils ne
peuvent se concentrer après une demie journée de travail, je leur dirais :
- la passion trouve toujours les moyens de création cependant que le doute
trouve toujours des excuses pour l’inaction.
Quel plus bel exemple que celui du génial Michel-Ange qui en 1553 à 78 ans était
architecte en chef de Saint Pierre de Rome, chargé à plein temps à cette tâche
gigantesque qui à fortiori n’avait rien d’alimentaire mais tout du passionnel.
Tiraillé par son désir obsessionnel de sculpteur, il rognait sur son sommeil pour tailler le
marbre. Dormant que quelques heures, habillé et botté pour être à pieds d’œuvre au
milieu de la nuit, Il s’était confectionné un chapeau en zinc, formant bougeoir, lui
permettant sculpter de nuit à la lueur des bougies.
A cette époque, l’objet de ses insomnies était une sculpture des plus religieuse et
mystique de son oeuvre, l’une de ces dernières piétas dit jadis « la mise au tombeau »
destiné à sa propre tombe. Véritable autoportrait au cœur du fameux groupe
sculptural, il s’était représenté sous les traits de Nicodème figure centrale à la
SuBréalité puissante, un hymne religieux cristallisé dans le marbre où Michel-Ange en
supportant le poids du Christ se fond dans la communion et la douleur de Marie.
Le destin qui l’avait jadis éprouvé dans la pharaonique commande du tombeau de
Jules II qui se solda en véritable tragédie par un projet peau de chagrin, ne le favorisa
pas plus, pour l’édification de son propre tombeau.
Après plusieurs années d’efforts nocturnes, il venait enfin à bout de la taille de ce bloc
de 11 tonnes de marbre de carrare débuté en 1547, il achevait son groupe en
approfondissant les expressions à la gradine (ciseau à dents) dégageant son groupe
de l’ultime peau de marbre, lorsqu’il découvrit sur la tête d’une de ses figures, une
tâche de silice noire.
Piéta da Santa Maria del Fiore H 2m34
Ce coup du sort en phase finale de création est un crève-cœur insupportable pour
tout sculpteur. Tout ce qui a été écrit sur ce drame et sur sa furieuse colère qui faillit
être fatale à sa sculpture n’est pas crédible.
Pour avoir vécu un coup du sort semblable bien que s’agissant d’une modeste sculpture
en granit, terminée le jour d’une fête religieuse... Or en ce jour de recueillement et de
prière, la création artistique est prohibée, en rage contre moi-même, j’imputais
naturellement ce manque de réussite à une sanction divine.
A mon sens, Michel-Ange, dans le même esprit, a pensé avoir été puni par manque
d’humilité, en s’affichant pour l’éternité au coté du Christ. Il fût si mortifié par ce
châtiment céleste qu’il en abandonna définitivement la finition et d’un geste de
suprême désespoir cassa à coup de massette la jambe de sa statue.
Par bonheur, celle-ci fut conservée religieusement par son fidèle intendant, fût
restaurée bien après la mort du Divin Maître.
On peut admirer ce groupe pathétique d’émotions sous la coupole de la cathédrale de
Florence.